Texte que j'aime

J'ai envie de vous faire partager des textes, des phrases, des mots que j'aime. 
Celui-ci est un peu long mais prenez le temps de le lire.


Ce texte est un extrait d'un ouvrage intitulé Les Yeux Ouverts. Il s'agit d'un livre d'entretien avec Marguerite Yourcenar. A une question posée sur la mort, voici ce qu'elle répond :

"Et puis, qui sait ? Peut-être sera-t-on pris en charge par certains souvenirs, comme par des anges. Les mystiques tibétains assurent que les mourants sont soutenus par la présence de ce à quoi ils ont cru : Shiva ou Bouddha pour les uns, le Christ ou Mahomet pour les autres. Les sceptiques purs ou les gens manquant d'imagination ne verront rien, sans doute, comme le quatrième officier de Malbrouck qui ne portait rien. Un ami, ranimé après avoir failli se noyer, m'a dit qu'était vraie la croyance populaire qui veut qu'on revoie toute sa vie, de façon fulgurante ; si cela est, ce sera parfois désagréable. Il faudrait être plus sélectif ; mais que voudrais-je revoir ?"

Ici commence le plus beau passage, à mon avis :

"Peut-être les jacinthes du Mont-Noir ou les violettes du Connecticut au printemps ; les oranges astucieusement suspendues aux branches par mon père, dans un jardin du Midi ; un cimetière en Suisse, croulant sous les roses ; un autre sous la neige et parmi les bouleaux blancs et d'autres encore, dont je ne connais même pas l'emplacement, ce qui après tout n'importe pas. Les dunes, tant en Flandre que plus tard dans les îles-barrières de Virginie, avec le bruit de la mer qui dure depuis le commencement du monde ; l'humble petite boîte à musique suisse, qui joue pianissimo une ariette de Haydn, et que j'ai fait marcher au chevet de Grace, une heure avant sa mort, au moment où les contacts et les paroles ne l'atteignaient plus ; ou encore les longues coulées de glaçons sur les rochers de Mount-Desert, le long desquels, en avril, l'eau trouve sa pente et rejaillit avec un bruit de source. Le cap Sounion, au couchant ; Olympie, à midi ; des paysans sur une route de Delphes ; la messe de la Résurrection, dans un village d'Eubée, après une traversée nocturne, à pied, dans la montagne ; une arrivée matinale, à Ségeste, à cheval, par des sentiers alors déserts et pierreux et qui sentaient le thym. Une promenade à Versailles, par un après-midi sans soleil, ou ce jour, à Corbridge, dans le Northumberland, où couchée au milieu d'un champ de fouilles envahi par les herbes je me suis laissée passivement imprégner par le pluie, comme les ossements des morts romains. Des chats ramassés avec André Embiricos dans un village d'Anatolie ; le "jeu de l'ange" dans la neige ; une folle descente en toboggan, du haut d'une colline tyrolienne, sous des étoiles pleines de présages.Ou encore, plus proches, à peine assez décantés pour être des souvenirs, la mer verte des Tropiques, çà et là souillée d'huile ; un vol triangulaire de cygnes sauvages en route vers l'Arctique ; le soleil levant de Pâques (qui ne savait pas qu'il était le soleil de Pâques), vu cette année d'un éperon rocheux de Mount-Desert, avec en bas un lac encore à demi gelé, craquelé aux approches du printemps ...
Je jette en vrac ces images sans prétendre en faire des symboles. Et sans doute devrais-je y ajouter quelques visages aimés, vivants ou morts, mêlés aux visages imaginaires, ou tirés de l'histoire."

Voila, j'espère que vous avez pris le temps de lire ce beau texte. 
J'espère  que vous l'avez aimé. 
Voici quelques unes des images que j'aimerai revoir ...







Et bien d'autres encore.

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