Pour une nuit ...


Voici un texte que j'ai écrit il y a quelques semaines.
Il est dédié à Vincent pour qu'il vive l'espace d'un instant ...

Je me glissai avec légèreté hors de mon lit puis enfilai mon short et un léger pull. Il ne devait pas faire bien chaud dehors au beau milieu de la nuit. Sur la pointe des pieds, je traversai la chambre où dormait mon frère. Surtout ne pas le réveiller. Je ne savais pas ce que pensait mon grand-frère à ce sujet mais j'avais peur qu'il se moque de moi si je lui en parlais. Pourtant, j'aurai aimé qu'il m'accompagne, qu'il sache ce que je ressentais et qu'il me parle de ses sentiments à ce sujet. Un jour peut-être ! Pour l'instant, je voulais seulement savoir si mon cousin avait dit vrai la veille, lors du repas. Toutes ses histoires de fantômes et d'esprits m'avaient un peu fait peur mais une idée avait germée dans mon petit cerveau et je voulais en avoir le cœur net. Je passai ensuite dans la chambre occupée par mes parents et m'arrêtai nette en entendant le lit grincer. Mon père se retourna dans son sommeil mais ne se réveilla pas. Je tirai la porte derrière moi et me retrouvai dans le couloir faiblement éclairée par la lumière de la nuit, filtrant à travers les vitres de la porte d'entrée. Je constatai alors que notre chien se tenait devant, la queue battante : 
- Allez ! Pousse-toi, mon grand ! lui dis-je en lui faisant une caresse sur la tête.
- Ouaf, ouaf ! me répondit-il. 
- Chut ! Tais-toi, Viking ! Craignant qu'il ne réveille toute la maison, je décidai de l'emmener avec moi. En plus, cela me ferait de la compagnie et une protection. Je tournai donc la poignée de la porte, qui émit un léger grincement et me retrouvai dans la ruelle sombre. Je me rendis compte que, dans la précipitation, j'avais oublié de mettre mes chaussures. Tant pis ! Je ne voulais prendre le risque de retourner à l'intérieur et de réveiller tout le monde. Par contre, j'avais pris une lampe avec moi mais, arrivée sur la place de l'église, je constatai qu'elle ne me serais pas d'une grande utilité puisque la lune me permettait de voir suffisamment.Je traversai le village en rasant les murs et, bien qu'il n'y ait personne dans les rues à cette heure avancée de la nuit, je n'étais pas rassurée. Après tout, je n'étais qu'une enfant de dix ans. Heureusement que Viking était près de moi. Je posai ma main sur sa tête pour apaiser mes craintes. J'empruntai le chemin caillouteux qui menait au cimetière et, sans mes chaussures, je m'abîmai un peu les pieds mais ce n'était pas cela qui allait me faire reculer. Ce chemin, maintes fois utilisé, me semblait long en cette nuit un peu particulière. Bien que je sache que des vaches occupaient les champs environnants, il me semblait entendre quelques monstres effrayants tout droit sortis de l'imaginaire d'une petite fille d'une grande sensibilité. Un « meuh » me fit sursauter alors que je m'étais approchée de la clôture et Viking se mit à aboyer. Je caressai quelques instants le museau de la vache venue à ma rencontre puis, tirant Viking par son collier, je repris mon chemin. J'arrivai alors devant les grilles du cimetière mais malheureusement, je fus confrontée à un obstacle auquel je n'avais pas pensé. Les grilles étaient fermées par une lourde chaîne. Je triturai un instant le cadenas mais, même avec une grosse pince, je n'aurai pas eu la force de l'utilisé et de briser la chaîne. De colère, je donnais un violent coup de pied dans l'une des grilles qui s'écarta un peu de sa jumelle. La chaîne n'était pas serrée et à force de contorsions, Viking et moi parvinrent à pénétrer dans le cimetière.. Cet endroit, si calme le jour, l'était encore plus de nuit. Comme dans beaucoup d'histoires, le cimetière était gris sous la lune. Pourtant, il y régnait une sérénité, quelque chose que j'avais du mal à décrire. Déjà en journée, quand je venais avec ma famille, le lieu ne me semblait pas triste. Mon grand-père nous montrait les différentes tombes de nos ancêtres ou celles de gens qu'il avait connus. Pour moi, cela était un peu flou et d'une fois sur l'autre, j'étais incapable de me rappeler qui était qui. Il n'y avait qu'une sépulture que je retrouvais facilement et reconnaissait. Je savais que là était enterré mes arrières grands-parents mais surtout mon frère. Un frère que je n'avais jamais connu et que j'assimilais à ce petit ange blanc apposé sur une plaque de marbre. Si ce lieu était celui du recueillement, il était aussi l'endroit où ma famille était réunie, la preuve qu'après la mort, on retrouvait ceux que l'on aimait. Même si tout cela n'était pas clair dans ma tête, puisque je me demandais ce qui se passait pour les gens qu'on n'aimait pas et qu'on ne voulait pas revoir après sa mort, c'était ainsi que je voyais le cimetière. Non pas un endroit triste et froid où les gens se décomposaient dans des boîtes en bois mais un lieu de retrouvailles, un lieu calme, doux, sans souffrance. Tout en pensant à cela, je me rapprochai de l'endroit où se trouvait mon frère. Le cœur battant, je regardai la grande tombe avec plusieurs plaques aux noms des différentes personnes reposant là. Mon attention se fixa une fois de plus sur le petit ange. Depuis que j'avais appris l'existence de ce frère, je me demandais souvent ce qu'aurait été sa vie et celle de notre famille si cet enfant avait été près de nous. Comment aurait-il été ? Son physique ? Son comportement ? Sa voix, son rire, ses goûts ? Mais une chose était sûre pour moi, j'étais persuadée que nous nous serions bien entendus. Je n'avais aucune idée du pourquoi mais cette certitude était ancrée au plus profond de moi. Peut-être parce que les choses n'étaient pas toujours facile avec mon autre grand-frère ? C'était donc plus facile d'imaginer quelque chose de mieux, de créer et de croire en quelque chose qui était invérifiable. Je m'assis sur le rebord de la tombe et jouai quelques instants avec les galets blancs qui la recouvrait. Je fermai les yeux, pensant à mes parents, espérant qu'ils n'iraient pas vérifier si je dormais bien. Je ne voulais qu'ils s'inquiètent. Je voulais juste vérifier l'hypothèse de mon cousin, selon laquelle on pouvait communiquer avec les morts. Mais comment faire ? Fallait-il dire quelque chose ? Une prière ? Une incantation ? Je me demandai soudain pourquoi j'étais venue dans ce cimetière, seule et en pleine nuit. Dans un soupir, je rouvris les yeux, prête à rentrer. C'est alors que je découvris une vieille femme face à moi. Je connaissais ce visage, c'était celui de mon arrière grand-mère, la mère de mon grand-père. Elle était assise, un peu transparente, sur le bord de la tombe. Bouche bée, je ne savais que dire. Je me frottais les yeux, comme au sortir du sommeil mais la vieille femme me souriait toujours. 
- Vous … Vous êtes réel ? bafouillais-je. 
- Réelle ? Eh bien ! Plus ou moins ! 
Devant mon regard interloqué, elle ajouta : 
- Tu me vois et tu m'entends alors, d'une certaine manière, je suis réelle. 
Pas vraiment sûre de comprendre, j’acquiesçais, décidant de me contenter de cette explication. 
- Que fait une jolie petite fille comme toi, ici, en pleine nuit, dans ce cimetière ? 
Les yeux rivés sur mon arrière grand-mère, je ne savais pas quoi répondre. Pleins de questions se bousculaient dans ma tête. Mon cousin avait raison, il était possible de communiquer avec les morts, les fantômes, les esprits, quel que soit le nom qu'on leur donne. Ce que je ne comprenais pas, c'était pourquoi cette femme m'apparaissait et pas la personne que j'étais venue rencontrer. Pourtant, alors que beaucoup d'enfants auraient été effrayés à ma place, je ressentais une grande sérénité. Je décidais alors de tout lui raconter : 
- Eh bien, commençais-je timidement. Je suis venue voir mon frère. Il y a quelques années, j'ai appris que j'aurais dû avoir un autre grand-frère mais il n'a pas eu la chance de vivre et depuis, je ressens comme une sorte de manque. C'est difficile à expliquer. L'autre soir, mon cousin parlait de fantômes et il disait que la nuit, dans les cimetières, les morts sortaient de leur tombe et que si on avait de la chance, on pouvait les voir et même leur parler. Mais on pouvait risquer sa vie et être emmené dans l'autre monde. 
- Pourtant, tu es venue quand même. Tu n'as pas peur ? me demanda mon arrière grand-mère de sa douce voix. 
- Si, un peu mais vous n'allez pas me faire de mal ? Me manger ou quelque chose comme ça ? 
- Bien sûr que non ! Tout cela sont des histoires pour faire peur aux enfants. 
Je poussais un soupir de soulagement. Je n'osais avouer que j'avais imaginer des histoires de zombies ou de vampires me courant après pour me sucer le sang. Je baissai les yeux, soudain attristée. 
- Que se passe-t-il ? Tu as l'air triste ? 
Je réfléchis un instants puis fixai mon arrière grand-mère droit dans les yeux. 
- Je voulais voir mon frère mais c'est vous qui êtes là. Il ne veut pas me voir ? Ou alors, est-ce que, comme il n'a pas vraiment vécu, il ne peut pas venir comme vous ? 
- Qui a dit qu'il ne voulait pas te voir ? Et sache que, même s'il ne respirait pas à la naissance, il a existé quand même et il existe toujours. 
- Mais je ne le vois pas alors …
- Es-tu sûre d'avoir bien regardé ? 
 Tout en écoutant mon aïeule, je remarquai que ses yeux avaient quitté les miens pour se poser quelque part dans mon dos. Je me retournai lentement, craignant de ne rencontrer que l'obscurité mais je me retrouvai face à un jeune garçon qui me souriait. Je restai de nouveau sans voix, aux bords des larmes avec une irrésistible envie de me jeter dans ses bras mais mes jambes refusaient d'obéir. J'étais incapable du moindre mouvement. Le jeune garçon semblait n'avoir que quelques années de plus que moi et ressemblait à n'importe quel garçon de mon âge, si ce n'est que, comme mon aïeule, il était un peu gris et translucide. À part cela, il portait un jean et un sweat, avait des cheveux châtains, coupés courts comme beaucoup d'enfants que je côtoyais à l'école. Cependant, il y avait un je-ne-sais-quoi que je reconnaissais, un petit quelque chose de familier. Il brisa le silence le premier : 
- Je suis content de te rencontrer petite sœur. 
- Je voulais tellement te connaître, lui répondis-je, les larmes aux yeux. 
Il m'était difficile de parler alors que j'avais pleins de choses à lui dire et à lui demander mais je ne savais pas par où commencer. Une nouvelle fois, il parla avant moi : 
- Je n'arrive pas à croire que ma petite sœur soit sortie en douce pour venir au cimetière. Tu es courageuse, je trouve. 
Je souris à ce compliment mais haussai les épaules : 
- Bof ! Viking est avec moi et me protège. C'est juste que, depuis que je connais ton existence, ton histoire, je me pose des questions sur toi, sur la famille alors … Comme on est là pour les vacances, je ne voulais pas repartir sans avoir essayer … 
- Je comprends. Quel genre de questions tu te poses ? demanda mon grand-frère, attentif aux interrogations de sa petite sœur.
- Eh bien, comment serait la vie si tu étais là ? Est-ce que moi je serais née quand même ? Est-ce que je serais différente ? Est-ce qu'on s'entendrait bien ? 
- Ça fait beaucoup pour la tête d'une enfant de dix ans, tout ça ! ajouta notre arrière grand-mère.
Mon frère acquiesça et lui sourit. Il émanait de lui un grand calme, une grande sérénité. 
- Oui, ça doit être dur de vivre avec autant d'interrogations. Mais malheureusement … je n'ai pas de réponses. Je ne sais pas. Tout ce que je peux te dire, c'est que les choses sont comme ça. 
Je baissai les yeux, sachant bien qu'il n'y avait pas de solutions à mon questionnement. J'avais espéré quand même. Je sentis soudain quelque chose me frôler, comme un chat se frottant contre mes jambes. 
- Allez, ne sois pas triste. Tu sais, c'est la vie ! J'aurai aimé vivre avec vous, vous connaître, jouer avec toi et notre frère mais ce n'est pas le cas. 
- Tu es seul, ici … Tu doit être triste et … 
- Non, me coupa-t-il. Je ne suis pas seul et je ne suis pas toujours ici, dans ce cimetière. Nos arrières grands-parents sont là, il y a de la famille. Tu sais, la « vie » ici est différente de la tienne. Le temps, les distances, tout est différent ! 
- Tu veux dire que tu peux « voyager » ? Tu peux te déplacer, être prêt de nous ? demandais-je alors. 
- Ça ne fonctionne pas vraiment comment ça. 
- C'est dommage, ce serait bien mais il faudrait qu'on te voit des fois. 
- Ne t'inquiète pas. Je suis présent, en quelque sorte. Je sais des choses sur ta vie, sur tes goûts, la vie de la famille. Je sais aussi quand quelqu'un pense à moi. Tiens, par exemple, je sais que tu adore le chocolat et les animaux. Je sais aussi que l'autre jour, tu as eu peur pour ton chien qui a failli tomber dans l'eau depuis le pont quand vous vous promeniez sur le chemin de halage. Je sais que tu aime le sport et que tu fais du basket, je sais que parfois vous vous disputez avec ton frère et que tu voudrais que vous vous entendiez mieux. 
- Waouh ! Alors tu es près de nous quand même d'une certaine façon. Je ne comprends pas trop commet ça marche mais je suis contente. Tu sais, je pense à toi souvent et ça me fait plaisir de savoir que tu sais des choses sur moi et que tu es là. Au fait, comment ça se fait que je te vois comme ça, comme un garçon avec l'âge que tu devrais avoir aujourd'hui ? Tu grandis ? 
- Pas vraiment. En fait, c'est toi qui me voit comme ça. Tu aurais pu me voir comme un bébé mais tu as choisi de me voir comme un garçon de treize ans. Comme notre arrière grand-mère. Tu la vois comme tu la connais sur les photos qu'il y a à la maison. Mais, comme il n'y a pas de photos de moi, tu me vois comme tu voudrais que je sois. Et je dois dire que ça me plaît bien. 
- Je t'aime bien comme ça aussi ! lui répondis-je avec un sanglot dans la voix. 
- Je trouve, ajouta notre aïeule, que vous avez les mêmes yeux, ceux de votre grand-père.
Mon frère et moi nous regardâmes de longues secondes, le sourire jusqu'aux oreilles. Pendant cette conversation, notre aïeul s'était levée et regardait le ciel qui s’éclaircissait : 
- Il va bientôt faire jour. Il faut que tu rentre avant que tes parents se réveillent. 
- Je pourrais revenir la nuit prochaine ? demandai-je. 
- Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Tu dois vivre ta vie à présent, aller de l'avant, reprit la vieille femme. 
- Elle a raison, sœurette, enchaîna mon frère. On ne peut pas changer les choses. Mais tu sais, je serais toujours là pour toi. Il suffit que tu penses à moi. Tu peux tout imaginer. En tous cas, je suis sûre qu'on se serait bien entendu tous les deux. 
- Mais tu me manques, lui dis-je en me mordillant les lèvres, les yeux pleins de larmes. Tu es mon grand-frère et je voudrais que tu sois toujours près de moi. 
 - Je serais toujours là, je te l'ai dis … 
- Mais si j'ai envie de te parler, de … 
- Eh bien, parles-moi dans ta tête ou tout fort. Je ne pourrais pas te répondre mais peut-être pourrais-je t'envoyer des signes … Ne pleures pas. Tu as une belle vie qui t'attends devant toi. Je veux que tu sois heureuse, que tu profites de cette vie qui t'est accordée. Je saurais toujours où tu es ainsi que la famille. Je serais toujours près de vous … 
Toujours en pleurs, je me précipitai dans ses bras. L'espace d'un instant, je crus que j'allais tomber, ne rencontrer que le vide mais les bras de mon frère se refermèrent autour de moi. Je le serrai aussi fort que je le pus, les yeux fermés sur mes larmes. En ouvrant les yeux, je me trouvais dans mon lit, les couvertures en bataille. Je me redressai d'un bond. Alors, tout cela n'avait été qu'un rêve ? Pourtant, je sentais encore la fraîcheur de la nuit sur mon visage et la chaleur de mon frère. Viking était couché à côté de moi et je remarquai qu'il avait des tignons accrochés à ses poils. J'entendis alors la voix de mon père : 
- La porte d'entrée est restée ouverte. Comment ça se fait ? Je suis sûr de l'avoir fermée à clé hier soir. 
Je n'entendis pas la réponse de ma mère. Était-ce moi qui n'avait pas refermé la clé ? Alors ? Rêve ou réalité ? Tout était un peu flou mais je n'avais pas envie de me poser trop de questions. Rêve ou réalité, cela m'avait marqué et je m'en rappellerai toujours. Quelque chose s'était produit cette nuit et je me sentais apaisée, moins angoissée par mes sentiments envers mon grand-frère. Je sortis de mon lit et allai dire bonjour à mes parents. Tout en m'embrassant, ma mère me dit en riant : 
- Tu es allée battre la campagne cette nuit. ? Regarde un peu l'état de tes pieds... 


Désolée s'il reste des coquilles et autres fautes ainsi que pour la mise en page
mais Blogger ne facilite pas le travail :-)



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