Le Goéland

Voilà un texte que j'ai écrit il a plusieurs années maintenant. C'est un texte que j'aime beaucoup et dont je suis plutôt fier (pardon pour les fautes, j'ai toujours un peu de mal avec la conjugaison) :





1.
J'étais un goéland, « marin », d'après ce qu'on m'a dit. Pourtant, je ne voyais pas bien ce que j'avais de « marin ». D'ailleurs, je n'avais jamais vu la mer. J'avais toujours vécu ici. J'étais né ici. Un jour de pluie. En brisant ma coquille, voilà ce que j'avais découvert. Ma mère avait fait notre nid dans le renfoncement d'un pilier de pont. Voilà ce que j'avais vu : un ciel gris, des murs ternes et une fine pluie dont les gouttes formaient de petits ronds à la surface de la rivière. Rien à voir avec un décor de bord de mer. Et c'est là que j'avais grandi et que j'avais appris à voler. J'aimais me laisser glisser dans l'air au-dessus de ce petit pont où j'étais né. 
2.
C'est là que je l'avais vu pour la première fois, en allant travailler. Je passais par ce pont tous les jours. Je changeais de rive pour quelques heures. D'un côté, le travail ; de l'autre, la maison. Ses grandes ailes déployées, il planait dans les courants d'air, fier et majestueux. J'aurais voulu m'arrêter, le regarder encore. J'avançais, la tête levée vers le ciel. Les gens passaient à côté de moi, à pieds ou en voiture et me regardaient d'un air bizarre. Qu'ils lèvent un peu la tête au lieu de regarder leurs pieds ! Le lendemain, il était toujours là, décrivant de larges cercles au-dessus du pont, et le jour suivant et encore celui d'après ... Chaque jour, j'espérais le voir. C'était agréable de le regarder voler ainsi. Sensation de sérénité. Pourtant, à chaque fois, je ressentais une douleur au creux de l'estomac. Sa place n'était pas ici, dans cette ville grise. Sa vue me faisait penser à l'océan, aux plages de sable, aux dunes, aux forêts de pins ... Sa place était là-bas.
3.
Beaucoup de gens en me voyant disaient : « voilà une jolie mouette ! ». Mais, je n'étais pas une mouette. J'étais un goéland. Regardez-moi bien et vous le devinerez ! Les mouettes sont plus petites. En même temps, je ne pouvais pas leur en vouloir, c'étaient des gens des villes, ils n'y connaissaient rien. J'avais de longues ailes noires, mon bec était jaune avec une petite tâche rouge et mes pattes palmées étaient roses claires. Ils ne savaient rien sur les goélands mais moi, je m'y connaissais en homme. Je les observais, je les écoutais. Les humains sont toujours pressés. Ils courent dans tous les sens. Ils roulent comme des fous et ça ne les gêne pas d'écraser des oiseaux. Mon frère était mort ainsi. Alors, on apprend à être prudent mais ça ne suffit pas toujours. Les humains ne savent pas regarder. Pourtant, il y avait cette jeune femme qui traversait le pont tous les matins. Elle me regardait. Quand elle me voyait, elle me cherchait du regard et dès qu'elle m'apercevait, un sourire illuminait son visage. Alors, chaque matin, je l'attendais et j'étais heureux en la voyant apparaître au coin de la rue. Je ne savais pas à quoi cela était dû. Chaque jour, je me rapprochais davantage. Je décrivais de larges cercles puis de plus petits pour passer toujours un peu plus près. 
4.
Chaque jour, il se rapprochait de moi. Peut-être n'était-ce qu'une impression. Il passait
au-dessus de ma tête ou juste sous mon nez. Il maîtrisait parfaitement son vol, aucun risque de collision. Au début, j'avais eu un peu peur mais je le laissais faire.
Ça avait l'air de l'amuser aussi. A l'un de ses passages, je tendis la main. J'espérais ne pas l'effrayer. 
5.
Elle avait tendu la main vers moi ! J'avais été surpris et ça m'avait déséquilibré. J'étais allé me poser en haut du lampadaire et je l'avais regardé, intrigué. Que voulait-elle ? Elle regarda sa montre, elle allait être en retard. Elle s'en alla. Je savais qu'elle ne me voulait aucun mal. J'espérais qu'elle serait là le lendemain. 
6.
Il s'était posé sur la lampe, là-haut et il me regardait. Il avait l'air perplexe. Je crois que je lui avait fait peur. Pourtant, il ne s'était pas sauvé. Il s'était juste mis hors de portée. Je levai la tête vers lui et lui dis qu'il n'avait rien à craindre. Loin de moi l'idée de lui faire du mal. Je devais aller travailler. J'espérais qu'il sera là le lendemain. 
7.
Le lendemain matin, le brouillard m'empêchait de voler. Je préférai l'attendre sur le lampadaire. La nuit dernière, j'avais repensé à ce qui s'était passé la veille. Je crois qu'elle voulait seulement établir un contact physique. Juste une caresse. J'avais très envie de la laisser faire mais j'avais peur. Aucun humain ne m'avait touché avant. Je ne connaissais que les ailes, les pattes et le bec de ma mère et de mes frères et sœurs. Pourtant, tout cela était très loin. Ma mère était morte depuis longtemps lors d'un hiver très rigoureux. Depuis, les quelques goélands qui vivaient ici m'avaient mis à l'écart. Pour la plupart, ils étaient nés au bord de la mer. Ils me rejetaient car je n'étais pas comme eux, parce que j'étais né ici et que je n'étais jamais allé là-bas. La première fois que j'aurai dû partir, j'avais refusé de les accompagner. Ma mère venait de mourir, juste avant les premiers beaux jours. J'avais trop mal. Je ne voulais pas partir si loin. Les années suivantes, ils n'avaient jamais voulu m'emmener. Je leur étais devenu différent. Et je n'avais jamais voulu partir seul. Je ne connaissais pas le chemin. J'avais peur de me perdre.
8.
Ce matin-là, je ne le vis pas dans le ciel. Il faut dire qu'il y avait un sacré brouillard. Je ne voyais pas à deux mètres devant moi. Était-ce à cause du temps ou de mon geste de la veille qu'il n'était pas là ? Alors que j'arrivai au milieu du pont, je le vis, là-haut sur le lampadaire. Il se laissa descendre doucement jusque sur le pont. Il me regarda. Je m'arrêtai net. Je n'osai pas bouger. Je ne voulais pas lui faire peur. Ce fut lui qui s'approcha, en sautillant sur les pierres. Je posai la main sur le pont et l'approchai doucement de lui. Il ne sembla pas avoir peur, il me laissa faire. Je lui dis qu'il ne devait pas avoir peur, que je ne lui ferais aucun mal. Il me laissa poser la main sur son dos et caresser ses ailes. Quelques minutes s'écoulèrent ainsi puis il sembla prendre peur et s'envola vers la rivière. Je me retournai et je vis deux personnes s'avancer sur le pont en parlant très fort. « Regarde, elle touche une mouette, viens, moi aussi je veux toucher la mouette ». Mais, c'était trop tard. Mon goéland était déjà loin. Je lançai un regard noir à ses deux imbéciles et partis travailler. 
9.
Voilà, encore deux égoïstes qui ne pensaient qu'à eux et qui se croyaient tout permis. Mais je m'en fichais. Je la reverrai le lendemain. 
10.
Le lendemain, il était sur le pont. Plusieurs jours passèrent ainsi. Nous nous apprivoisions mutuellement et profitions chaque jour davantage de ce petit moment de calme et de tranquillité.
Pourtant, un matin où il faisait particulièrement froid, je ne le vis pas. Je m'arrêtai au milieu du pont et regardai autour de moi. C'est alors que je le découvris, sur le trottoir d'en face. Il était couché par terre, son aile droite repliée de façon bizarre. Je me précipitai et lui parlai doucement. Je savais qu'il y avait un vétérinaire dans la rue d'en face. J'y emmenai mon goéland en espérant qu'il n'avait rien de grave. Le vétérinaire, un petit homme charmant, me reçut tout de suite et me rassura rapidement. Le goéland avait dû se faire taper par une voiture et s'était fracturé l'aile. Il n'y avait rien de grave. Avec quelques médicaments, une bonne atèle et du repos, il se remettrait vite. Je partis au travail rassurée et promis au vétérinaire de repasser dans la soirée.
11.
Je ne comprenais pas ce qui s'était passé. Je me réveillai dans un endroit clos, entouré de barreaux. Et puis, il y avait cette odeur. Une odeur inquiétante, oppressante. En voulant passer d'un côté à l'autre du pont, j'avais dû voler trop bas, il y avait beaucoup de brouillard ce matin-là, et quelques chose m'avait heurté. Je me réveillai dans cet endroit bizarre, avec le vague souvenir qu'elle m'avait pris dans ces bras et emmené. Mais, elle n'était pas là. Je sentais des présences autour de moi, mais pas la sienne. Un chat, un chien et une présence humaine. Je criai de terreur. Où étais-je ? Qu'allait-on faire de moi ? Je me débattais, je criais plus fort mais je ne pouvais pas bouger, mon aile me faisait horriblement mal. J'aurais préféré mourir. Elle m'avait abandonné dans cette endroit lugubre. 
12.
Je repassai après ma journée de travail. Le vétérinaire me fit part de son inquiétude. Le goéland n'avait cessé de hurler et de se débattre dans sa cage. De peur qu'il ne se blesse, il lui avait administré un puissant sédatif. Mais qu'allait-il faire quand le goéland se réveillerait de nouveau ? C'est alors que je lui dis que j'allais l'emmener et m'en occuper. Bien entendu, il pensait que c'était une très mauvaise idée mais voyant ma détermination, il me laissa partir avec mon goéland. Nous l'installâmes confortablement dans un carton et je le ramenai chez moi. J'avais peur, je ne savais pas comment il allait réagir en se réveillant. Et s'il se mettait à voler dans l'appartement, il risquait de se blesser. Que ferais-je alors ? Je l'installai dans un coin tranquille près du radiateur et attendai qu'il se réveille. 
13.
En ouvrant les yeux, je vis son visage. Elle ne m'avait pas abandonné. Je ne vis plus les barreaux et il n'y avait plus cette mauvaise odeur. Je me suis tout de suite senti en sécurité. Je passai des jours tranquilles même si je n'aimais pas rester seul pendant qu'elle allait travailler. 
14.
Je me suis occupée de lui pendant les derniers mois d'hiver, le nourrissant, le soignant. Il reprit rapidement des forces et bientôt, je le sentis prêt à repartir. Avec les premiers rayons du soleil, j'ouvrais la fenêtre mais il se contentait de faire un petit tour et revenait rapidement. Il avait l'air inquiet et je l'étais aussi. Je crois qu'il avait peur d'être de nouveau blessé. Sachant que sa place n'avait jamais été ici, je me suis dis que peut-être, je pourrais le ramener à l'océan.
15.
Je ne sortais que très peu. Le monde dehors me faisait peur depuis mon accident. Je la voyais anxieuse à mon sujet. Elle devait réfléchir à un moyen de me faire reprendre confiance. Une solution pour que je reprenne ma vie de goéland. Un jour, elle me parla de la mer. Du soleil se reflétant sur l'eau, des vagues venant s'écraser sur la plage, du vent chantant dans les pins. Moi qui ne connaissais que le gris du béton, je fus émerveillé par cette description. Je crois qu'elle voulait m'emmener là-bas. 
16.
Un dimanche particulièrement ensoleillé, j'installai mon goéland dans son carton et l'attachai dans la voiture. Il se laissa faire. Je crois qu'il avait compris ce que j'avais en tête. Nous partîmes en direction de la mer où mon goéland découvrit l'océan pour la première fois. 
 
Épilogue :
L'histoire se finit là ! Enfin, pas tout à fait ! Le goéland est resté près de l'océan et la jeune femme est retournée vivre chez elle. Mais le goéland, maintenant qu'il connait bien le chemin, vient toujours passer ses mois d'hiver chez elle. Il aime passer les mois les plus froids à l'abri, dans la douceur du petit appartement. Quant à elle, elle passe ses vacances au bord de l'océan. C'est d'ailleurs là qu'elle a rencontré l'homme de sa vie, qui fut très surpris en entendant cette histoire. Mais tout cela est une autre histoire ...

1 commentaire:

  1. Une belle histoire pour enfants ou pour ceux qui ont conservé une part de leur enfance...

    Stephane de Nantes

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